Chronique II : 24 Juillet 2013 // Les Labrènes, Tomasso Landolfi, Lecture de Jean-Marc Bourg
Propos :
Nouvelle surréaliste,
voire absurde, Les Labrènes nous plonge dans un univers proche de La
métamorphose de Kafka. Le narrateur assiste à son propre enterrement et, alors
que le maçon scelle la pierre tombale, le voilà revenu au grand air pour porter
un regard nouveau sur sa famille.
Disparaître, c’est aussi faire de la place
aux autres, et les revenants ne sont pas toujours accueillis avec bonheur. De
quoi développer aisément suspicion et paranoïa. Et lorsque tout va de mal en
pis, les labrènes apparaissent…
Les lecteurs de Nicolas Bouvier se souviennent peut-être
du terrible combat entre les fourmis et les termites, dans son roman Le
poisson-scorpion, lu au jardin du muséum par un certain Jean-Marc Bourg !
La chronique d’Olivier :
Bonsoir,
En ouverture de cette
chronique, j’aimerais vous poser une question qui, selon l’expression
consacrée, me brûle évidemment les lèvres,
mais surtout, me taraude frénétiquement
l’entendement :
Qu’est-ce-que vous faites
là ?
La question ne s’adresse
évidemment pas à nos amis séniors, qui, ayant lu sur le programme «les labrènes »
s’imaginent sans doute, les pauvres, pouvoir tromper leur ennui de vieux en assistant à une conférence sur les
insectes et autres bestioles rampantes dans l’interminable attente de septembre, date à laquelle, reprendront enfin les projections de « connaissance du
monde ».
Non, la question, le
« que faites-vous là ? », s’adresse aux autres, à tous ceux qui,
dans la force de l’âge, pourraient occuper cette douce soirée d’été à de sensuelles
et bouleversantes occupations.
Moi par exemple, dès que j’en
aurai fini avec cette chronique, je pars retrouver ma chère et tendre avec
laquelle j’espère bien pouvoir me livrer à quelques délectables prouesses
corporelles qui, et je m’en excuse par avance, risquent fort de contribuer gravement
au réchauffement climatique.
Mais vous ? Vous, qui
n’êtes ni chroniqueur ni vieux, pourquoi donc êtes-vous là ?
Je veux dire, quelle lubie vous
a pris pour venir, de votre plein gré j’imagine, assister à une lecture de
l’œuvre de Tommaso Landolfi, « Les labrènes », remarquez que j’ai
bien dit « quelle lubie vous a pris » et non pas « quelle mouche
vous a piqués ? », hein, sinon
tout de suite les vieux « alors c’est sur les insectes ou c’est pas sur
les insectes ? ». Non, et définitivement non !
« Les labrènes » ne parlent pas d’insectes,
mais de l’humain, et même plus précisément d’une caractéristique qui nous différencie justement et à jamais du
règne animal, à savoir notre incroyable et irrépressible capacité à nourrir ce
qu’il est convenu d’appeler de la suspicion.
Oui, Mesdames et Messieurs,
la suspicion, ce délire interprétatif, construit sur une perception faussée du
réel, qui peut conduire chacun d’entre nous dans les affres délirants et sans
retour de la spirale paranoïaque.
D’autant que l’époque, pleine
de doutes et de défiance, n’a jamais été aussi propice à la contamination généralisée de cette horrible suspicion
chez les uns et les autres.
Il suffit d’ouvrir un journal
pour constater, vous en conviendrez, que
la défiance est même le moteur principal de l’actualité contemporaine. Défiance
vis-à-vis des modèles économiques, défiance vis-à-vis des représentants
politiques, défiance vis à vis des
autres cultures, des autres religions etc…etc. On en vient même, folle
extrémité, à suspecter la présence de coureurs sains chez les drogués du Tour
de France.
Mais si la suspicion peut
s’immiscer dans la plénitude du vaste champs des relations humaines, elle n’est
jamais aussi douloureuse et dévastatrice que lorsqu’elle prend place dans le
doux et néanmoins fragile cocon des relations amoureuses.
Tiens, un petit test :
Qui parmi vous est totalement assuré de la fidélité de sa compagne ou de son
compagnon ? Allez-y, n’ayez pas peur levez la main on est entre nous.
Voilà, à par deux mythomanes,
force est de constater que la suspicion guette potentiellement chacun d’entre nous.
Et comment pourrait-il en être autrement ?
N’y a-t-il de plus grand
supplice, pour le commun des mortels, que d’imaginer l’être aimé, l’être à qui on eut donné de l’or et des
bijoux comme disait l’autre, pour qui on eut vendu son âme pour quelques sous
même, et bien de l’imaginer, cet être-là justement, défaillir de plaisir sous
les libidineuses et animales caresses d’une personne étrangère.
Enfin étrangère, mais que vous connaissez la plupart du temps, et
dont vous ne vous êtes jamais méfié tant sincèrement vous n’auriez jamais
imaginé que le potentiel de séduction puisse attirer autre chose qu’un
coléoptère aveugle et à moitié déprimé. Je sais les anciens, j’ai dit
coléoptère, mais je vous assure que c’est vraiment pas le sujet, ça suffit
maintenant.
Quand la suspicion s’installe, disais-je, tout
s’explique soudain, tout devient évident. Il ne vous manque que la preuve de la
haute trahison, car sinon tout concourt à renforcer à chaque seconde vos
soupçons ; les mots de l’autre sentent désormais irrémédiablement la duplicité à plein nez et ses
silences sont carrément des aveux.
Oui, c’est clair, vous êtes
sans conteste la victime d’un perfide et machiavélique complot, « on vous
ment, on vous trompe » comme le faisait déjà remarquer en son temps une
certaine Arlette, ça crève les yeux comme on dit, mais ils ne savent pas à qui
ils ont à faire ha ! ha !, et leur misérable duplicité va leur coûter
très cher. L’heure de la vengeance a sonné et croyez-moi, ça va saigner.
Voilà, la mécanique fatale est
enclenchée, le système paranoïaque est en place, et l’inévitable peut désormais
advenir.
C’est à ce genre de folie
proprement humaine que vous êtes venus assister au travers de la nouvelle de
Tommaso Landolfi intitulée« les labrènes ».
Alors oui peut-être suis-je finalement
en train de comprendre la raison de votre présence ici.
Bien sûr, vous êtes venus constater
une fois encore l’incroyable fragilité d’une histoire d’amour, cette chose si
précieuse sans laquelle, pour paraphraser Nietzsche, la vie ne serait qu’une
faute, une erreur.
Et je crois surtout que je
viens de comprendre la présence des plus âgés parmi vous. Vous êtes venu
savourer les pièges de la vie, dans lesquels vous avez eu l’élégance de ne pas
tomber, histoire d’avoir fait tout ce chemin
juste pour le plaisir quasi enfantin de susurrer à l’oreille de votre
douce et, espérons-le, éternelle
moitié, les bouleversants mots de
Jacques Brel : « oh ! Mon amour, il nous fallut bien du
courage, il nous fallut bien du talent pour être vieux sans être adultes,
oh ! Mon amour, mon doux, mon tendre, mon merveilleux amour, je t’aime
encore, tu sais, je t’ai-ai-me ». Belle soirée.
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