vendredi 26 juillet 2013

Les chroniques d'Olivier, II...


Chronique II : 24 Juillet 2013 // Les Labrènes, Tomasso Landolfi, Lecture de Jean-Marc Bourg

Propos :
Nouvelle surréaliste, voire absurde, Les Labrènes nous plonge dans un univers proche de La métamorphose de Kafka. Le narrateur assiste à son propre enterrement et, alors que le maçon scelle la pierre tombale, le voilà revenu au grand air pour porter un regard nouveau sur sa famille.
Disparaître, c’est aussi faire de la place aux autres, et les revenants ne sont pas toujours accueillis avec bonheur. De quoi développer aisément suspicion et paranoïa. Et lorsque tout va de mal en pis, les labrènes apparaissent…
Les lecteurs de Nicolas Bouvier se souviennent peut-être du terrible combat entre les fourmis et les termites, dans son roman Le poisson-scorpion, lu au jardin du muséum par un certain Jean-Marc Bourg !

La chronique d’Olivier :
Bonsoir,
En ouverture de cette chronique, j’aimerais vous poser une question qui, selon l’expression consacrée, me brûle évidemment les lèvres,  mais surtout,  me taraude frénétiquement l’entendement :
Qu’est-ce-que vous faites là ?
La question ne s’adresse évidemment pas à nos amis séniors, qui, ayant lu sur le programme «les labrènes » s’imaginent sans doute, les pauvres,  pouvoir tromper leur ennui de vieux  en assistant à une conférence sur les insectes et autres bestioles rampantes  dans l’interminable attente de  septembre, date à laquelle, reprendront enfin  les projections de « connaissance du monde ».   
Non, la question, le « que faites-vous là ? », s’adresse aux autres, à tous ceux qui, dans la force de l’âge, pourraient occuper cette douce soirée d’été à de sensuelles et  bouleversantes occupations.
Moi par exemple, dès que j’en aurai fini avec cette chronique, je pars retrouver ma chère et tendre avec laquelle j’espère bien pouvoir me livrer à quelques délectables prouesses corporelles qui, et je m’en excuse par avance, risquent fort de contribuer gravement au réchauffement climatique.      
Mais vous ? Vous, qui n’êtes ni chroniqueur ni vieux, pourquoi donc êtes-vous là ?
Je veux dire, quelle lubie vous a pris pour venir, de votre plein gré j’imagine, assister à une lecture de l’œuvre de Tommaso Landolfi, « Les labrènes », remarquez que j’ai bien dit « quelle lubie vous a pris » et non pas « quelle mouche vous a piqués ? », hein,  sinon tout de suite les vieux « alors c’est sur les insectes ou c’est pas sur les insectes ? ». Non, et définitivement non !


  « Les labrènes » ne parlent pas d’insectes, mais de l’humain, et même plus précisément d’une caractéristique qui  nous différencie justement et à jamais du règne animal, à savoir notre incroyable et irrépressible capacité à nourrir ce qu’il est convenu d’appeler de la suspicion.
Oui, Mesdames et Messieurs, la suspicion, ce délire interprétatif, construit sur une perception faussée du réel, qui peut conduire chacun d’entre nous dans les affres délirants et sans retour de la spirale paranoïaque.
D’autant que l’époque, pleine de doutes et de défiance, n’a jamais été aussi propice à la  contamination généralisée de cette horrible suspicion chez les uns et les autres.
Il suffit d’ouvrir un journal pour constater, vous en conviendrez,  que la défiance est même le moteur principal de l’actualité contemporaine. Défiance vis-à-vis des modèles économiques, défiance vis-à-vis des représentants politiques, défiance vis à  vis des autres cultures, des autres religions etc…etc. On en vient même, folle extrémité, à suspecter la présence de coureurs sains chez les drogués du Tour de France.
Mais si la suspicion peut s’immiscer dans la plénitude du vaste champs des relations humaines, elle n’est jamais aussi douloureuse et dévastatrice que lorsqu’elle prend place dans le doux et néanmoins fragile cocon des relations amoureuses.
Tiens, un petit test : Qui parmi vous est totalement assuré de la fidélité de sa compagne ou de son compagnon ? Allez-y, n’ayez pas peur levez la main on est entre nous.
Voilà, à par deux mythomanes, force est de constater que la suspicion guette potentiellement chacun d’entre nous. Et comment pourrait-il en être autrement ?
N’y a-t-il de plus grand supplice, pour le commun des mortels, que d’imaginer l’être aimé,  l’être à qui on eut donné de l’or et des bijoux comme disait l’autre, pour qui on eut vendu son âme pour quelques sous même, et bien de l’imaginer, cet être-là justement, défaillir de plaisir sous les libidineuses et animales caresses d’une personne étrangère.
Enfin étrangère, mais  que vous connaissez la plupart du temps, et dont vous ne vous êtes jamais méfié tant sincèrement vous n’auriez jamais imaginé que le potentiel de séduction puisse attirer autre chose qu’un coléoptère aveugle et à moitié déprimé. Je sais les anciens, j’ai dit coléoptère, mais je vous assure que c’est vraiment pas le sujet, ça suffit maintenant.
 Quand la suspicion s’installe, disais-je, tout s’explique soudain, tout devient évident. Il ne vous manque que la preuve de la haute trahison, car sinon tout concourt à renforcer à chaque seconde vos soupçons ; les mots de l’autre sentent désormais  irrémédiablement la duplicité à plein nez et ses silences sont carrément des aveux.
Oui, c’est clair, vous êtes sans conteste la victime d’un perfide et machiavélique complot, « on vous ment, on vous trompe » comme le faisait déjà remarquer en son temps une certaine Arlette, ça crève les yeux comme on dit, mais ils ne savent pas à qui ils ont à faire ha ! ha !, et leur misérable duplicité va leur coûter très cher. L’heure de la vengeance a sonné et croyez-moi, ça va saigner.
Voilà, la mécanique fatale est enclenchée, le système paranoïaque est en place, et l’inévitable peut désormais advenir.
C’est à ce genre de folie proprement humaine que vous êtes venus assister au travers de la nouvelle de Tommaso Landolfi intitulée« les labrènes ».
Alors oui peut-être suis-je finalement en train de comprendre la raison de votre présence ici.
Bien sûr, vous êtes venus constater une fois encore l’incroyable fragilité d’une histoire d’amour, cette chose si précieuse sans laquelle, pour paraphraser Nietzsche, la vie ne serait qu’une faute, une erreur.
Et je crois surtout que je viens de comprendre la présence des plus âgés parmi vous. Vous êtes venu savourer les pièges de la vie, dans lesquels vous avez eu l’élégance de ne pas tomber, histoire d’avoir fait tout ce chemin  juste pour le plaisir quasi enfantin de susurrer à l’oreille de votre douce et, espérons-le,  éternelle moitié,  les bouleversants mots de Jacques Brel :  « oh ! Mon amour, il nous fallut bien du courage, il nous fallut bien du talent pour être vieux sans être adultes, oh ! Mon amour, mon doux, mon tendre, mon merveilleux amour, je t’aime encore, tu sais, je t’ai-ai-me ». Belle soirée.
      




  






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